L'art est partout

Publié le par Scalp




Nous étions assis autour de la table, sur la terrasse, à l'ombre de la pergola, après déjeuner.
C'est un dimanche.
Nous avions vue sur la fresque, à l'arrière du musée Fernand Léger. Sur la crête, au loin, les cyprès florentins attaquaient comme des pics à glace, le ciel bleu profond. Juillet sentait bon l'été. La chaleur crépitait et les cigales swinguaient les beaux jours.
Par chance, la maison était située au sommet d'une colline et la brise marine venait jouer à saute-mouton entre les branches du poivrier, rafraîchissant nos fronts qui n'en pouvaient mais du rosé glacé que nous avions bu par seaux.
Comme d'habitude nous avions barbequiouté, tomates mozzarella, sardines à l'ail, saucisses grillées, pommes de terres rissolées, fromage au poivre... Un barbecue quoi!
J'aimais ces repas qui ressemblaient à des trêves dans cette guerre que nous menions la semaine, pour survivre dans ce monde qui définitivement, n'était pas celui dont nous avions rêvé.
Si les convives changeaient selon les dimanches, il y avait des habitués.
Comme Zol, ex étudiant-yougoslave tombé amoureux de chez nous sur les bancs de la fac, jamais reparti dans ce qui était aujourd'hui la Croatie. Doué pour le commerce, après mille métiers, il était devenu marchand d'art. Zol est rond, jovial, cultivé, intelligent, et riche: très.
Véro, blonde naturelle bouclée, des yeux d'agate, architecte, jeune belle et désirable. Intouchable.
Haëss, fine, propre, fashion victim, un cerveau d'ordinateur, sensible spécialiste de l'histoire de l'art en général, et de Paul Klee en particulier.
J'ai d'autres invités ce jour là. Nous avions comme ça, des satellites plus ou moins éloignés de notre petit groupe et  que leurs orbites ramenaient périodiquement aux abords de notre monde. Chaque dimanche, surtout l'été -la piscine et mon jardin- en rapprochait de différents.

A cette heure, certains récupèrent comme ils peuvent, allongés sur la pelouse, d'autres, plus ou moins essoufflés tentent de diluer leur alcoolémie dans les eaux turquoise de la piscine. Les épaules bronzées-mouillées des quelques sirènes qui barbotent dans l'eau fraîche achevant de leur donner le tournis.
A table, il ne restait que nous quatre.
Moi, je cherchais de l'air en tétant ma trentième cigarette de la journée.
Comme d'habitude, repus, nous parlions d'art, cherchant une fois de plus à trouver une définition simple et concise autour de laquelle nous tomberions d'accord.
Encore une fois, je nous voyais mal partis pour réussir aujourd'hui. Les dithyrambes les plus extravagantes s'entrecoupaient de fous rires qui nous soudaient dans le plaisir d'être ensemble, une fois de plus.
Et puis c'est arrivé.
Véro a souri, exhibant incidemment ses dents de perles,
Haëss a fait passer une mèche de cheveux, décolorée à son extrémité par les bains de mer, de, en vrac devant ses yeux, à rangée derrière son oreille,
Zol terminait un grand discours qu'il ponctua d'un clin d'oeil à mon intention, tout en fichant un stylo qui traînait par là entre ses dents.
Alors tout est devenu clair:

« L'art est partout, j'ai dit.
La raie partout? A demandé Haëss en haussant les sourcils, les yeux ronds.
Des rires, encore.
Ouais, j'ai fait. Je viens de comprendre. Je viens de vous voir faire de l'Art. Véro vient de se servir de son sourire pour rendre ma vie plus belle, Haëss vient de faire un mime de charme en arrangeant avec délicatesse ses cheveux et Zol vient de faire l'acteur, histoire de me dire que tout ça n'était pas sérieux.

Mes convives se taisaient, attendant la suite. Plus de rires pour l'instant.

Voilà, j'ai dit, c'est ça la vérité: l'art est partout. Dans chacun de nos gestes. Nous avons tous le même alphabet à notre disposition, mais nous arrangeons les mots pour rendre nos pensées plus belles, tels des peintres qui mélangent incidemment leurs pigments pour rendre plus convaincante leur vérité. Nous nous servons de nos corps pour faire passer des messages, devenant des mimes qui savent tout de l'effet d'une moue ou d'un poing levé, et puis nous grimaçons pour faire rire ou pleurer devenant des acteurs. Nous voulons nous convaincre les uns les autres, nous séduire, nous faire rire. Nous composons, créons, récitons, jouons à chaque instant. Nous créons sans cesse, comme des artistes que nous sommes tous. Tous, à chaque instant.

Silence.
Mes pensées étaient claires, mes mots un peu moins.

Et alors? A dit Véro.
Alors, j'ai dit, voilà ma définition: l'Art c'est nous. L'art c'est la vie de tous les jours, et il se transmet par les mots. L'art c'est des mots, des gestes, des postures et des mimiques, des silences et des bruits que nous faisons, que nous émettons, que nous contrôlons et libérons. Pour communiquer, pour être ensemble. Même pour détester quelqu'un il faut composer un sentiment, le sentir, le façonner, l'exprimer... Faire de l'art!
         Avec son coeur souvent, enfin je crois...

Les autres se taisent, je les vois se demander: « Avons-nous cherché si loin, ce qui était là, sous nos yeux? ».

D'un coup, je me sentis devenir un artiste-créateur en introspection. Je me tus, et allumai une autre cigarette. Dans ma tête, j'entendais la musique:

Love,
Love in the art,
La, la, la, laaa, la la
Voilà, l'art c'est ça...

So, love is in the art!
La raie partout ?
Is it?
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